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Un merci murmuré


Paru dans Next, de Libération en hommage à Claude Durand

Par Mahi Binebine

Une mère qui murmure dans un coin «mon enfant est mort» a beaucoup plus de force qu’une autre qui se griffe le visage en hurlant dans les rues la disparition de sa progéniture. Tel était le genre de conseils que prodiguait Claude Durand à la jeune pousse que j’étais il y a vingt-cinq ans lorsqu’il accepta de publier mon premier roman aux éditions Stock.

Etre lu, l’encre à peine sèche, par Claude Durand avait de quoi vous donner des frissons. Moi qui exécrais les examens, j’ai finalement choisi un métier où je n’ai cessé d’en passer. A chaque roman, j’attendais le verdict. Je rêvais du moment où Claude viendrait me taper sur l’épaule et me dire «c’est bien, tu as fait du bon travail !».

Des conseils, toujours des conseils, des voies à suivre, des personnages (a priori auxiliaires) à développer, à nourrir jusqu’à en faire des piliers du récit. Resserrer, faire l’économie des mots, corser la dimension narrative, bannir les fioritures, se méfier comme du diable du pathos. Et surtout, surtout ne pas tricher, ça s’entend. Il n’imposait rien, il suggérait à mi-voix. Parfois, il lui arrivait de froncer les sourcils, il brandissait alors une paire de ciseaux et châtrait sans pitié les passages où l’auteur se fait plaisir quand l’objet de sa narration ne servait pas le texte.

En vérité, on n’invente rien, on ne fait que traduire ce que le vulgum pecus a toujours ressenti, sans pouvoir le formuler. Gare aux chevilles qui font de l’écrivain une divinité. Modeste. Soyez modeste !

Dix livres plus tard (dont sept avec lui), me voilà ressassant ses paroles que je buvais naguère comme celle d’Evangiles, ou du Coran, c’est selon.

Je ne suis pas ce qu’on appelle un auteur à succès. Je ne fais pas de vente record en librairie, de quoi décourager plus d’un éditeur. Jamais Claude ne m’a reproché mes modestes scores. Il ne faisait pas dans l’épicerie. Mieux, je crois qu’au fond de lui-même, il me souhaitait le succès le plus tard possible.

Comme beaucoup d’autres écrivains, j’ai eu l’insigne privilège de croiser le chemin de cet homme, celui de sentir ses ailes de géant entourer mes doutes, mes errances, mes peurs. Claude est mort, voyez, je le dis tout doucement, sans cris, sans rien. Claude est mort et je me sens orphelin.

Mahi BINEBINE Peintre, écrivain

Photo © Baltel/Sipa

http://next.liberation.fr/culture/2015/05/10/un-merci-murmure-a-claude-durand_1304637

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